La Dame à la licorne

A mon seul désir


La tapisserie dite de "La dame à la licorne" est en réalité un ensemble de six tapisseries. Après de nombreuses tergiversations, elles ont été attribuées à la famille lyonnaise des Le Viste et datées du XVème siècle. Actuellement situées au musée du Moyen Age à Paris, cet ensemble est remarquable par son originalité, son format mais aussi pour les multiples lectures et messages qu'il nous offre.

 

 Sur six tapisseries, cinq d'entre elles sont en fait une apologie des cinq sens (dits "corporels") tels la vue, l'ouïe, le toucher, le goût et l'odorat. La sixième tapisserie, intitulée "A mon seul désir" apparaît d'avantage comme une allégorie de la raison et peut se laisser décrypter comme un sixième sens. C'est avec notre cœur et notre raison que nous allons pouvoir contrôler nos passions et guider notre volonté. En mettant son collier de par sa propre volonté dans le coffre que lui présente sa suivante, la dame renonce par elle-même aux plaisirs évoqués précédemment dans les cinq autres tapisseries.

 

L'odorat

Chaque tapisserie est composé plus ou moins de la même manière. Sur un fond rouge sont disposés une nuée de motifs végétaux ainsi que des petits animaux, chacun regardant un point différent, ce qui le caractérise de son voisin et donne une impression de densité. En effet, les végétaux semblent se faire écho les uns aux autres alors que les petits animaux (lapins, chiens, renards, singes, oiseaux) semblent tout droit sortis d'un bestiaire.

 

Au premier plan de chaque tapisserie, la scène principale est située sur un îlot bleu verdâtre permettant de délimiter dans l'espace les personnages principaux ayant un message à transmettre par rapport aux personnages secondaires pouvant avoir, eux, l'aspect de figurants. Un lion et une licorne entourent une dame richement parée et sa suivante. Cette dernière n'apparaît d'ailleurs pas dans les tapisseries de la vue et du toucher.

 La vue

Faut-il voir sur ces deux tapisseries une allégorie de l'érotisme ? D'une part, dans la tapisserie relative à la Vue, la licorne, en posant ses pattes avant sur la dame, relève légèrement sa robe et d'autre part, dans celle du Toucher, le geste de la dame sur la corne de l'animal peut prêter à équivoque. Cette théorie est tout à fait envisageable étant donné que nous savons que cet ensemble de tapisseries a été offert à l'occasion d'un mariage.

 

Le toucher


Le lion peut ainsi représenter la virilité et la masculinité tandis que la licorne représente la chasteté et la féminité. L'auteur a très bien pu jouer sur l'ambivalence de la licorne, à la fois comme symbole érotique et symbole de chasteté dans la tradition chrétienne (l'animal est alors représenté dans la plupart des cas à côté d'une jeune vierge). Les cinq sens représentés peuvent également être compris comme les vecteurs de l'amour. Chacun d'entre eux nous faisant découvrir un plaisir différent. L'analyse des couleurs de la tapisserie peut apparaître évident au premier regard. Quatre couleurs dominent dans cet ensemble : le rouge de l'arrière-plan, le vert des végétaux, le bleu verdâtre du tapis fleuri et pour terminer, le blanc/doré des animaux. Nous pouvons également remarquer que la dame porte une robe différente sur chacune des tapisseries, ce qui accentue encore cette profusion de teinte.

 

Le goût
 


Les tapisseries peuvent s'appréhender de deux manières différentes : soit en en faisant une lecture verticale, soit en projetant notre regard du plus proche au plus lointain, via les différents plans. Si l'on fait une lecture verticale, on s'aperçoit que les éléments s'accordent bien entre eux. Par exemple, sur les tapisseries du Toucher et de l'Ouïe, la corne de la licorne fait écho aux lances tenues par elle et par le lion. De même, les personnages des deux femmes sont toujours représentés d'une manière verticale, soit debout, soit en étant assises mais avec le buste droit. De plus, le tapis de verdure sur lequel les personnages sont situés semble être dans le prolongement du feuillage de l'arrière-plan montrant ainsi la relation les enchaînant les uns aux autres.

 

En ce qui concerne une lecture par plans, nous voyons que l'arrière-plan se dresse comme une grillage fleuri où chaque animal et végétal tient une place donnée. Leur espacement est cohérent et ne donne en aucun cas un sentiment de confusion. Ils semblent reliés les uns aux autres pour former un ensemble d'accompagnement. Au premier plan, nous retrouvons les personnages principaux détenteurs du message de la tapisserie. Leur texture semble opaque contrairement à la fluidité des motifs de l'arrière-plan, dressés comme un décor de théâtre.


L'ouïe

 

L'auteur a voulu jouer entre ces deux modes de lecture et le passage de l'un à l'autre peut s'avérer déstabilisant. Par contre, le centre de la tapisserie ramène un équilibre dans la lecture de la tapisserie car les personnages sont flanqués du lion et de la licorne. Les deux lectures se font ainsi concurrence et se neutralisent, d'où un certain équilibre qui s'en dégage car, même si chaque lecture est autonome, tout tend à participer à un ensemble harmonieux. La perspective est présente mais au lieu de lignes fuyantes, l'auteur nous la suggère en jouant sur la taille des éléments décoratifs, notamment en diminuant les animaux de second plan ou en indiquant visuellement que les éléments situés "au dessus" des personnages sont en réalité situés derrière.

 

Un autre élément important pour l'étude de cette tapisserie est le regard. Même s'ils ne sont qu'au second plan, il est facile de remarquer que chaque petit animal semble indifférent à la scène qui se joue devant ses yeux. Chaque animal a sa propre vie. Ces regards fuyants mêlés au feuillage dense ont pourtant leur importance car ils font circuler notre regard dans tous les sens sur l'ensemble de la surface de la tapisserie. A l'inverse, les personnages principaux savent capter notre attention. Le lion et la licorne sont là pour mettre en valeur les gestes de la dame. Citons ici l'exemple de la tapisserie dite de l'Odorat. Tous les regards convergent vers la fleur que tient la dame entre ses mains. Notre attention est ainsi guidée.


Les tapisseries sont situées au musée du Moyen Age à Paris



Cet ensemble de tapisseries, que l'on pourrait croire seulement ornemental, a également une fonction moralisatrice. Le fait d'avoir choisi le lion et la licorne n'est pas anodin. D'une part, tous deux sont un rappel direct aux croyances chrétiennes  (le lion représentant Marc et étant associé au Christ et à la parole divine), sans oublier que sa force et sa prestance en font un modèle parmi les hommes de haut rang. La licorne, quant à elle, a longtemps été une représentation du Christ. C'est un symbole du bien que l'on peut associer à la chasteté de la dame qui l'accompagne. Cette idée de représentation chrétienne peut se compléter avec celle d'agneaux placés çà et là dans les tapisseries. Cet animal symbolisant l'innocence, la pureté et la douceur.

 

L'accent de cette morale est mis sur la sixième et dernière tapisserie de cet ensemble et elle a pour but de donner une morale aux messages délivrés dans les cinq premières. Alors que nos sens gouvernent notre vie, notre cœur (n'oublions pas qu'à cette époque là, il était encore le siège de notre raison) nous convie à réfléchir au sens de nos actions et à distinguer ce qui est important de ce qui ne l'est pas. C'est cette raison qui va guider notre âme au-delà des péchés et nous protéger de nos passions. "A mon seul désir" est donc le résultat d'une réflexion qui va permettre à notre cœur de s'élever et se rapprocher de l'enseignement divin/chrétien.

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